L’association Ambitions Educatives a accompagné votre projet "Alors on joue", Chansons et percussions corporelles : La rencontre entre le corps et la voix
Décrivez-nous votre projet :
il s’agissait de fédérer deux entités du collège qui se côtoient peu pour créer et interpréter sur scène leur spectacle, celui qui incarnerait ce qu’ils veulent être et ce à quoi ils aspirent. Les deux entités en question étaient les dispositifs ULIS – Unité Locale d’Inclusion Scolaire – et la CHAM – Classe à Horaires Aménagés Musique.
De par leurs spécificités, chaque élève allait pouvoir apporter une touche artistique et se sentir en « valeur ajoutée » puisqu’il fallait créer un spectacle parlant de la richesse des différences, allant du harcèlement, à la question du handicap. Des sujets qui les préoccupent au quotidien et qu’ils ont pu alors dénoncer.
Parlez-nous un petit peu de vous...
Je suis Emmanuelle Gremaud-Stanislas, enseignante en éducation musicale et chant choral au collège Arsène Lambert de Lencloître depuis 2015. Je suis passionnée par mon métier : la pratique de la musique, des arts en général me semble être un incontournable de la pédagogie et de la construction de chaque individu. Moi-même, ayant commencé la musique assez jeune, je sais le rôle et ce que ce domaine artistique a pu m’apporter. J’ai toujours pratiqué en groupe (chant, clavier, un peu de guitare) et ces expériences ont largement contribué à me construire. Aussi je suis convaincue de ce que je peux apporter aux enfants, mais aussi aux adultes !
La musique est un formidable vecteur d’épanouissement : apprendre à apprendre, découvrir le goût de l’effort et la satisfaction de réussir, trouver sa place dans un collectif, s’autodiscipliner, prendre confiance en soi, sans parler des impacts positifs sur le cerveau et le développement cognitif : beaucoup d’études scientifiques voire médicales témoignent des effets bénéfiques de la pratique musicale sur les individus quel que soit l’âge.
Pourquoi avez-vous mis en place ce projet ? Quelle était l’idée au départ ?
Depuis que j’ai rejoint l’équipe du collège de Lencloître, j’ai toujours tenu à ce que les élèves se sentent en position de réussite dans mes activités, à leur niveau, sans exigence élitiste. Je m’occupe de la coordination d’une classe à horaires aménagés musique composée d’élèves aux profils très variés allant de la 6e à la 3e qui demande aux élèves un engagement à la hauteur du nombre d’heures pratiquées chaque semaine (au moins 5h30).
Mais par ailleurs, j’ai toujours travaillé avec le dispositif ULIS dont s’occupe M. Maubayou : il m’a toujours semblé évident que les élèves qui bénéficient de ce droit à la scolarité malgré des troubles des fonctions cognitives puissent bénéficier des mêmes satisfactions que n’importe lequel/laquelle de mes élèves dans mes activités. Bref, qu’ils soient des élèves comme les autres.
C’est ainsi qu’a mûri l’idée de créer un projet fédérant ces deux groupes : j’ai proposé cette idée à M. Maubayou, coordonnateur du dispositif ULIS ainsi qu’à ma collègue Mme Frémondeau en arts plastiques, à partir d’un spectacle que notre partenaire l’association les JM France, et notamment Mme Mallet, coordinatrice du Territoire Poitou-Charentes, nous proposait : « A quoi tu joues ? Spectacle pour devenir qui on veut », par le Collectif 36.
Nous voulions que nos élèves créent leur propre spectacle, celui qui leur ressemblerait, permettant de lisser les différences, dénoncer les discriminations, et d’occuper la place qu’ils souhaitaient sur scène.
Qui est impliqué dans ce projet au sein de l’établissement ?
Comme je l’expliquais à l’instant, le projet n’aurait pas pu se concrétiser si mes collègues M. Maubayou et Mme Frémondeau n’avaient pas eu, eux aussi, les mêmes aspirations que moi. Également, nos collègues Séverine Leclerc (AESH collective du dispositif ULIS) et Anne Laland (AESH remplaçante du PIAL) ont été un soutien fort : en effet, grâce à elles, nous avons pu envisager une participation sereine des élèves à besoins particuliers dans ce projet « un peu fou », projet qu’ils ne vont peut-être avoir l’occasion de vivre qu’une seule fois.
A partir du moment où nous avons déposé le projet sur papier, nous avons eu le total soutien des personnels de direction, Mme De Damas, notre principale, M. De Macedo, notre principal adjoint, ainsi que Mme Gallard, notre gestionnaire qui nous a été d’un précieux recours lorsqu’il s’agissait de croiser les budgets du projet avec ceux de l’établissement. Évidemment notre collègue référente culture et documentaliste Mme Jamonneau nous a suivis et de même, a été d’une grande aide pour décortiquer les circuits pour déposer les demandes de financement.
Nous avons également eu le soutien de Mr Charton IA-IPR éducation musicale et chant Choral et de Mme Meyer, IEN ASH : ils nous ont soutenus dans toutes nos démarches administratives en les cosignant.
A la rentrée de septembre 2021, nous avions décidé de ne pas annoncer très clairement aux élèves le projet : en effet, il s’agissait de les fédérer, puis de leur faire prendre conscience que le spectacle ne devait pas être figé dans une pratique artistique mais au contraire, être un patchwork de ce qu’ils avaient envie de présenter, quelles qu’allaient être les formes choisies. Ainsi les élèves se sont engouffrés dans cette idée, allant de pratique instrumentale, vocale, percussions corporelles, mais aussi des installations plastiques, décors, accessoires, jeux d’acteurs, séquences audios, vidéos…
Ainsi s’est formée l’idée du spectacle, avec une adhésion plus ou moins rapide des élèves : en effet, ce concept n’était pas facile à aborder pour eux ; ils avaient besoin de savoir ce qu’ils devaient créer mais en même temps, cela devait venir d’eux-mêmes… Avec en plus les aléas inhérents aux différences d’âge, de classes, de tempéraments….
Le dernier tiers du projet a été un déclic pour le groupe : nous avons alors pu observer une implication des élèves en dehors même de leurs heures de cours. Un très bel engouement.
En parallèle des séances de sensibilisation et d’information sur la différence et plus particulièrement le handicap ont été menées avec les élèves de la CHAM par M.Maubayou. L’objectif était de leur permettre d’avoir des notions liées aux différents handicaps et de changer leur regard et représentations vis-à-vis de cette différence. Il était également intéressant de les mettre en situation de handicap dans des tâches scolaires afin qu’ils comprennent que les compensations mises en places sont un droit et pas un avantage ou un privilège.
Enfin, et nous en parlerons juste après, nous travaillons avec le conservatoire de Lencloître en ce qui concerne la CHAM : de fait, nous avions dans notre équipe des intervenants prêts à nous suivre dans ce projet, Mme Dazas et M. Gauttier, avec cet avantage de la proximité géographique mais aussi relationnelle.
Qui avez-vous contacté pour lancer ce projet ?
Partant de rien, mais travaillant régulièrement avec les JM France qui nous proposent chaque année d’apporter un spectacle « clés en mains » à moindre coût dans la salle de spectacle de la ville de Lencloître, il a été évident que nous devions faire un lien entre un spectacle auquel les élèves allaient assister afin de se projeter ensuite dans la création de leur propre univers, avec ce même thème : la différence, l’acceptation de celle-ci et la tolérance. Mme Mallet ayant une bonne connaissance des artistes de proximité, nous avons pu envisager assez vite quels seraient les intervenants. En fin de projet, quand nous listons l’ensemble des acteurs artistiques et techniques de ce projet, nous pouvons citer :
- le collectif 36 avec leur spectacle « A quoi tu joues ? Spectacle pour devenir qui on veut » et des ateliers avec les élèves
- comme évoqué juste avant, deux de mes collègues du conservatoire travaillant avec le collège pour la CHAM mais intervenant ici de façon plus ciblée et différente de leurs pratiques en CHAM : Mme Dazas et M. Gauttier en chant, percussions corporelles et pratiques instrumentales
- le conservatoire de Lencloître qui nous a mis à disposition ses locaux et son matériel - le Grand Châtellerault et notamment le 4 (studio vidéo et d’enregistrement) de pour concrétiser techniquement toutes les envies des élèves avec M. Bourdon, M. Bert et M. Debelle.
- le département de la Vienne et la ville de Lencloître qui nous a soutenu dans la mise en place du spectacle.
- et Laura Calu, l’humoriste, qui, suite à un contact sans grand espoir sur les réseaux sociaux, nous a accordé le droit d’utiliser quelques unes de ses vidéos dénonçant avec humour les thèmes que les élèves souhaitaient aborder.
Bien sûr, cela n’aurait pas pu se faire sans un accord préalable et un soutien total de la direction de l’établissement qui nous a donné une grande liberté d’action pour nos démarches.
Comment avez-vous financé ce projet ?
Après avoir estimé de la faisabilité de ce projet artistiquement parlant, il a fallu réfléchir à la faisabilité financière ! Auprès de qui allions-nous pouvoir déposer un dossier de demande de subvention ?
Aidée également de ma collègue « référente culture » Mme Jamonneau, et toujours de Mme Mallet, nous avons monté un dossier budgetisé afin de solliciter d’éventuels partenaires :
- le Fonds Musical pour l’Enfance et la Jeunesse
- le Fonds pour le Développement de la Vie Associative (FDVA2) mais aussi des partenaires de l’académie de Poitiers :
- la DAAC, délégation académique aux arts et à la culture
et… de façon totalement fortuite : Ambitions Éducatives. En effet, dans le cadre de mes activités musicales personnelles, j’ai eu l’occasion d’échanger avec M. Salmon, le directeur artistique de mon groupe Notembulle basé à côté de Niort, qui, lui aussi, est très sensible à la défense des droits pour tous et à la question du handicap. M. Salmon m’a alors envoyé un dossier d’appel à projets d’Ambitions Éducatives que je ne connaissais pas du tout : à la lecture de celui-ci, quelle surprise de me rendre compte que nous remplissions a priori toutes les conditions pour prétendre à un « coup de pouce » financier mais .. les délais étaient très courts ! Là encore, l’équipe administrative du collège nous a beaucoup aidés en faisant preuve d’une grande réactivité. Une aide financière non négligeable nous a été accordée.
Avez-vous rencontré des difficultés ou des obstacles ?
Bien sûr ! Tout n’a pas été simple.
Au tout début, étant personnellement plus musicienne et pédagogue qu’administrative, il m’a été très difficile de me plonger dans toutes les démarches. Les interfaces de demandes de subventions n’étaient pas toujours claires, les attentes ne correspondaient pas aux informations que nous détenions… beaucoup de craintes également de ne pas avoir assez de réseau, ou de ne pas rencontrer l’adhésion des personnes sollicitées. J’ai donc vécu un gros décalage entre la pédagogue artiste parfois « farfelue » que je suis et la masse administrative qu’il fallait brasser.
Le temps nous a aussi beaucoup manqué ! Du temps entre collègues, du temps avec les élèves, du temps avec les intervenants…. Nous avons tous éprouvé un effet chronophage à un certain stade de l’élaboration du projet. Mais…. qui nous a peut-être rendus plus actifs et productifs au final.
Également, des doutes…. Nous embarquions les élèves dans une aventure artistique dont on ne savait pas quel allait être l’aboutissement, tout en étant les garants de leur crédibilité sur scène ! Parfois ce sont les élèves eux-mêmes qui ont été les locomotives dans des phases où, moi-même, j’étais perdue.
Et puis cette thématique sur la différence et la tolérance : pas facile lorsque les élèves eux-mêmes n’ont pas encore pleinement conscience de la portée d’un mot, d’un geste, d’un regard… Il fallait monter un spectacle sur un thème qui n’était pas encore pleinement ancrée dans leurs habitudes de jeunes. Mais c’était tout l’intérêt, même si parfois cela n’a pas été facile : leur faire construire ce spectacle a été, me semble-t-il, un énorme levier de réflexion pour la majorité d’entre eux, un déclic que peut-être ils n’auraient pas eu si tôt, avec cette chance de le vivre de cette manière.
Avez-vous atteint votre objectif initial ?
Oui, totalement. Je crois…enfin j’espère (rires). Enfin, à partir du moment où j’ai vu des jeunes avoir le sourire sur scène et en en sortant, tout en s’investissant massivement avant et pendant la représentation, avec des témoignages tels que nous les avons reçus, oui : l’objectif est atteint.
Bien sûr à titre personnel, on peut toujours faire mieux, avec des si…. Mais nous aurions alors été à l’encontre de nos aspirations : nous avons été sur scène tels que nous avons voulu et pu l’être à cet instant. Donc…. Oui, si ! L’objectif est atteint !
Après, comme pour toute proposition artistique, on ne fera jamais l’unanimité : il y a forcément des choses qui n‘auront pas plus, des points de désaccord que ce soit au sein même de l’équipe ou du public, adultes et jeunes confondus. Ah oui, au fait, précision : nous sommes TOUS montés sur scène ! Pas de distinction profs/élèves.
Mais n’oublions pas que c’est pour susciter des réactions et donc une réflexion que la culture et le spectacle vivant existent.
Quels conseils pouvez-vous donner pour la mise en place de ce projet ?
D’être absolument convaincu de l’intérêt de son projet et d’avoir une solide équipe sur laquelle se reposer et se faire accompagner. Seul on peut aller plus vite, mais ensemble on va tellement plus loin !
Également un projet doit selon moi avoir un côté « inédit », répondre à une sorte de besoin, ou poser une question qui ne s’est jamais posée : ici, la question de la différence et de la richesse de celle-ci. Au quotidien je me désole de nous voir passer les uns à côté des autres avec des a priori plutôt que des regards brillants d’admiration pour un petit quelque chose que l’Autre a.
Au sein de notre établissement, il nous semblait essentiel de faire prendre conscience aux élèves qu’ils évoluent à côté de personnes différentes, quelle que soit cette différence, et qu’elle n’est en aucun cas un obstacle à quoi que ce soit à partir du moment où elle est accueillie avec bienveillance. Encore faut-il la connaître ! Miroir de la société individualiste à mon sens.
Aussi, je pense qu’un projet doit comporter un enjeu particulier qui sera d’ailleurs un facteur aidant pour fédérer autour de celui-ci des moyens humains, logistiques, financiers etc...
Nous remercions Emmanuelle Gremaud-Stanislas, de nous avoir apporté son témoignage, ce retour d'expérience sera toujours très utile pour les écoles qui hésitent à se lancer !
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